La femme : un pompier comme les autres ?

Soldats du feu
Commandante des opérations de secours

Elles représentent 16 % des sapeurs-pompiers. Soit un pompier sur six. Au-delà des chiffres et des clichés, quelle est la réalité et quels sont les enjeux de la présence des femmes au sein du métier ? Avec des témoignages, des parcours, des analyses… SOLDATS DU FEU essaie de faire le tour de la question. L’occasion de creuser le sujet et, pourquoi pas, de penser autrement.

76-1007.  Ce ne sont que de simples chiffres. Et pourtant… Voilà l’intitulé du décret signé le 25 octobre 1976 qui, apportant de profondes modifications dans le statut des pompiers communaux, ouvrit une brèche : « Les corps de sapeurs-pompiers communaux peuvent être composés de personnels tant masculins que féminins. »  Une petite révolution. Quarante-quatre ans plus tard, alors qu’un sapeur-pompier sur six est une femme, l’on pourrait penser – c’est le cas – que les choses ont évolué depuis que la première femme est devenue sapeur-pompier. Elle s’appelait Françoise Mabille. Cette jeune femme de Seine-Maritime souhaitait intégrer le corps des sapeurs-pompiers en 1973. Femmes pompiers, l’ouvrage écrit par Carlo Zaglia et Djamel Ben Mohamed (paru en 2007 chez Soldats du Feu Éditions) retrace son parcours : début 1974, alors qu’elle a été soutenue par le maire de sa commune et que le préfet a fait suivre sa demande au ministre de l’Intérieur, elle peut être recrutée, mais en qualité de SPV : le décret du 7 mars 1953, qui fixe les conditions d’accès à la profession de sapeur-pompier, parle d’hommes. Enfin, le décret n° 76-1007 permettra aux pionnières d’ouvrir la voie, suivies par des milliers de femmes qui vont embrasser une profession souvent vue comme un « métier d’hommes » : nécessitant disponibilité et compétences physiques, est-il incompatible avec le fait d’être une femme ? Certaines renoncent-elles à porter l’uniforme ? Une femme peut-elle être un pompier comme les autres ? SFm donne la parole à celles (et ceux) le mieux placées pour en parler !

« Les femmes ont leur place chez les pompiers », estime Pauline Pinelli. Volontaire depuis 10 ans dans une caserne corse, elle a réussi le concours de capitaine de pompier professionnel. « Beaucoup ont tendance à évoquer notre empathie et nos qualités pour le secours à personnes. Pour ma part, intervenir sur des feux me convient très bien, je n’ai aucun problème avec le fait de passer la nuit sur le terrain. » Et puis, « j’ai toujours tenu à être acceptée avant tout pour les efforts que je fournis ».  Quid des aptitudes physiques des filles et des femmes ? « Il y a une différence, c’est physiologique, oui », glisse l’une d’elles. Oui, mais… « je crois que la persévérance permet de compenser », glisse une quinquagénaire, volontaire depuis 25 ans. Moins à l’aise pour porter des tuyaux ? « J’ai suivi les mêmes formations et obtenu les mêmes qualifications, donc je ne me sens pas moins légitime. » « Les compétences physiques qu’elles sont capables de déployer peuvent nous surprendre ! » observe le colonel David Sarrazin, directeur départemental du Sdis de la Nièvre qui n’a d’ailleurs pas manqué, au cours de sa carrière, de promouvoir des actions en faveur de l’arrivée des femmes chez les pompiers.

Car la légitimité, elle se gagne. Stella Carta a été recrutée par les sapeurs-pompiers du Sdis 13. Avec son mètre 57, elle est pompier volontaire à Arles (depuis qu’elle a 19 ans) et SPP à Salon-de-Provence. « On entend souvent dire que les filles sont faites pour monter dans les ambulances. À nous de prouver qu’on est capables de faire autre chose », promet-elle. Et puis « les filles s’adaptent ! Il faut faire son chemin humblement », assure la jeune femme de 25 ans. Attirée au départ par le secours à personnes, elle est aujourd’hui SAV 2 (sauvetage aquatique). Plus encore, pour la colonelle Stéphanie Duchet, DDSIS de la Creuse, l’évolution des méthodes et des techniques, la technologie… ont apporté beaucoup. De quoi envisager autrement la compatibilité des aptitudes physiques avec les missions à remplir. Et puis les Sdis ont adapté leurs infrastructures : la vie en caserne permet désormais d’accueillir les femmes.

Des personnels à part entière

La place des femmes dans le système de sécurité civile n’a cessé d’augmenter. Pour le colonel Sarrazin, « ce sujet ne devrait finalement même pas en être un. Même si pendant un temps, il faut mettre en avant cette problématique de la féminisation, jusqu’au jour où cela sera parfaitement intégré ». Et question intégration, la Nièvre affiche un taux de féminisation de 26 % ! Dans certaines casernes, les femmes sont même plus nombreuses que les collègues masculins. Et « nous sommes à 50 %, parfois même un peu plus, parmi les jeunes recrues ». Même si, évidemment, chaque département et chaque Sdis ont leur sociologie. Dans certains, les femmes occupent même les plus hauts postes. La colonelle Stéphanie Duchet est directrice du service départemental d’incendie et de secours du Cher. Sans jamais se demander si les femmes avaient leur place chez les sapeurs-pompiers. « Pourquoi pas ? Il y a bien des femmes dans tellement d’autres secteurs ! » Et puis « la place du secours à personnes a changé le regard sur les choses : même le profil des sapeurs-pompiers hommes a évolué. Niveau d’études, accompagnement à la personne… Tout a évolué ».

Le métier n’a cessé de se féminiser. Nombre de Sdis mènent des campagnes en ce sens. Le Sdis 31 organisait en mars un colloque sur l’égalité des droits entre les femmes et les hommes au sein des Sdis. Ouvert par la présidente du Sdis 31, Étiennette Poumirol, et le directeur le colonel Sébastien Vergé, le colloque a permis de débattre et présenter des initiatives… Autre initiative, celle du Sdis 13 : après des échanges organisés en 2015 lors de la journée internationale des droits des femmes, a été créé un observatoire pour réfléchir et mettre en œuvre des actions favorisant l’équité au sein de l’établissement. Créé en 2018, présidé par Brigitte Devesa, ce dispositif compte des groupes de travail mixtes, mis en place par le lieutenant-colonel Isabelle Bérard. Ces groupes planchent sur l’évolution des mentalités et de la situation des agents féminins. La création d’un réseau de soutien et d’entraide « Pompiers13 au féminin » a découlé de ces travaux. Pour le colonel Grégory Allione, directeur du Sdis 13 et président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, la mixité est même gage de performance.

L’arbre qui cache les forêts ?

Le monde des sapeurs-pompiers est-il représentatif de la société, où les femmes disposent des mêmes droits que les hommes. Prenons le préambule de la Constitution de 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » Voilà pour le principe. Mais…, car il y a un mais. À valeur de travail équivalente, l’écart moyen de rémunération entre femmes et hommes dans la fonction publique territoriale est de 9,3 % en 2015 (source : Rapport annuel sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, ministère de l’Action et des Comptes publics, 2017). Au sein des sapeurs-pompiers, les femmes représentent 4 % des officiers. Quand on a dit ça, peut-on prétendre que les femmes accèdent comme souhaité aux postes à responsabilités ? Le souhaitent-elles ? Le peuvent-elles ? Faut-il les aider, les inciter ? Quid de la discrimination positive ?

« Avant tout, il faut choisir des gens compétents », martèle Pauline Pinelli, qui ne se prive pas d’inviter les filles à s’intéresser à tous les métiers, notamment celui de pompier, « passionnant, qui apporte énormément sur le plan personnel, permet d’être proche de ses concitoyens, de défendre sa terre. Aujourd’hui, si je me sens prête à exercer ce métier, c’est aussi parce qu’être pompier m’a préparée à continuer en ce sens ». Pour Karine Joubard, lieutenant professionnel, « être une femme n’a jamais constitué un frein dans ce métier. Même si on doit parfois montrer deux fois plus qu’on est capable », assure celle qui est entrée dans le monde des pompiers à 11 ans, comme JSP. « Lorsqu’on a fait ses preuves, on les a faites et c’est bon. » Pour elle, « ce n’est pas une histoire de genre, mais une histoire de personnes ». Pour beaucoup de femmes qui ont enfilé l’uniforme (volontaire ou professionnel), « il faut montrer qu’on possède de la détermination et des compétences. Ainsi, on se fait accepter, même si tout n’est jamais définitivement acquis ». Une autre d’ajouter : « J’ai toujours voulu faire mon métier comme les autres, notamment les hommes, sans jamais être montrée du doigt uniquement parce que je suis une femme. » Même certitude, en Haute-Loire, où le sergent Manon Peyroux est la seule femme chef de centre. « Pour moi, chez les pompiers, il y a davantage des compétences et des qualités que des femmes et des hommes », explique la jeune femme de 29 ans, fille et sœur de SPV. Alors son engagement à elle a été assez naturel. Depuis le 1er janvier 2020, elle est à la tête du centre de première intervention et de neuf pompiers volontaires, à Lavoûte-Chilhac.

« Pour moi, il faut continuer à prendre les meilleur(e)s. Je préfère cultiver l’excellence que la discrimination positive », tranche le colonel Sarrazin, en faveur avant tout de la méritocratie. Le mérite, les femmes n’en manquent pas, admet le patron des pompiers de la Nièvre. Et « », assure le capitaine Sandrine Consigney. Elle développe son propos sur le terrain des mots : « Si nous sommes des gens en tenue et en uniforme, c’est aussi pour avoir une apparence et un état d’esprit uniformes. Quand on porte secours, ce que la victime voit en premier lieu, c’est un véhicule rouge. Puis ce sont des gens en uniforme qui remplissent la même mission. »

Les femmes : un vivier

La féminisation, bien plus qu’un objectif ou un prétexte, doit devenir une normalisation, invite la colonelle Duchet. « Nombre d’études montrent que la présence des femmes dans une société est un atout. Pourquoi n’en serait-il pas de même chez les sapeurs-pompiers ? » L’épanouissement, les valeurs familiales, la réalisation de soi… toutes ces valeurs ne sont plus strictement réservées aux femmes. « Disponibilité, humanité et humilité. Voilà ce que les femmes peuvent apporter au monde des pompiers », glisse le sergent Manon Peyroux. D’autres ajoutent la détermination, l’adaptabilité, la résilience.

Au fil du temps, l’institution s’est adaptée : « Les établissements sont dans le réel, ils s’adaptent, tout comme le recrutement s’adapte à la demande opérationnelle et aux besoins qui émanent du terrain », se félicite le capitaine Consigney. Alors avec le temps, la place des femmes ne pose plus question. Car la force des pompiers, c’est bien la diversité des profils. Et à l’heure où l’urgence, c’est le secours à la personne et le recrutement, la féminisation et l’égalité des droits sont loin d’être un accessoire ou un prétexte : voilà des outils de choix pour solutionner des problématiques et améliorer le fonctionnement de toute l’institution. Car être égaux, ce n’est pas être les mêmes. C’est être différents, complémentaires. Alors, osons-le : et si les pompiers étaient des femmes comme les autres ?

 

34 % des pompiers professionnels sont des femmes (on tombe à 25 % chez les volontaires). Et gravir les échelons n’arrange rien : plus on avance dans les grades, plus leur présence se fait rare. Les femmes ne représentent que 4 % des officiers.

Femmes et métiers, un peu d’histoire

« Les femmes ont toujours travaillé », retrace Mathilde Dubesset, historienne et maîtresse de conférences en histoire contemporaine. « Depuis les temps anciens, elles ont travaillé, même si cela n’a pas toujours été reconnu. » Cette activité (on ne parlait alors pas de « métier ») était particulièrement visible dans le monde rural, dominant, où elles participaient à la gestion d’une exploitation agricole (tenue de la basse-cour, travail au jardin, travaux aux champs. On retrouve une main-d’œuvre féminine dans l’industrie des XIXe et XXe siècles, et dans les ateliers comme à Lyon ou Saint-Étienne. « Évidemment que les femmes sont dans la sphère domestique, mais cela ne les empêche pas de se trouver dans tous les interstices du travail », souligne Mathilde Dubesset. Ensuite, avec l’industrialisation massive, elles investissent des secteurs entiers. À l’industrie textile, elles fournissent une main-d’œuvre avec des qualités, peu chère et docile. Les femmes répondent ainsi à un besoin. Avec les guerres, elles investissent des métiers où on ne les avait pas vues auparavant, comme la métallurgie. C’est l’époque, aussi, où elles vont à l’école, font des études, choisissent des métiers en même temps que l’État a besoin d’institutrices, d’infirmières… Certaines visent même d’autres métiers, comme la médecine ou avocat, et vont se faire une place peu à peu. Et aujourd’hui ? « Tout n’est pas encore acquis : le genre des métiers demeure une réalité, et des progrès à faire. »

 

Équité, parité, égalité, mixité… ce que les mots veulent dire

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