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Par Ronan Vinay, co-auteur avec Marc Le Guelaff du livre "Le Forcement". 

Les évolutions techniques ont transformé les structures bâtimentaires en petites forteresses. De ce fait, les secours rencontrent de plus en plus de difficultés pour investir les lieux d’un sinistre. Le choix des outils de forcement ou d’effraction doit donc être réfléchi et rationnel afin de permettre aux équipages  de gagner en rapidité et en sécurité.

 

À son arrivée sur les lieux pour un feu de structure, le Cos doit être capable de faire rapidement un certain nombre de choix techniques qui devront être en relation avec les moyens dont il dispose, mais aussi et surtout avec sa capacité à les mettre en œuvre. Il aura généralement deux options initiales plutôt basiques. Le premier : se mettre en mode défensif, protéger les structures adjacentes et éviter les propagations. Le second : opérer en mode offensif. Dans ce cas, il lui faudra envisager la manière dont il pourra investir le bâtiment, mettre en œuvre ses reconnaissances intérieures et ses moyens d’attaque tout en profitant des possibilités d’équipement de sécurité de la structure bâtimentaire, et ce, en rapport avec les règles de prévention en vigueur en France. On peut aisément comprendre le premier choix, dès lors qu’aucune victime n’est présente à l’intérieur du bâtiment et que le déséquilibre entre les risques et les bénéfices est trop important. Ainsi une structure totalement embrasée, ne laissant aucune chance de survie aux victimes éventuelles, ne devra être attaqué que par le biais d’un mode défensif, les risques induits à pénétrer dans le bâtiment étant trop importants pour les équipages. Cette action reste toutefois relativement rare dans les statistiques d’intervention et reste souvent axée sur les bâtiments de type industriel. Dans la grande majorité des cas, le Cos aura à mettre en œuvre des réactions immédiates afin de pouvoir pénétrer au cœur de la structure et en prendre le contrôle rapidement. Si la situation tactique, une fois posée, trouve sa cohérence dans l’action, elle peut être très rapidement mise en défaut par la difficulté que rencontreront les binômes à pénétrer l’enveloppe structurelle. Ainsi la notion de forcement d’ouvrants ou la création de brèche pour désenfumer ou ventiler le volume prend toute son importance. Or au regard de l’équipement réduit que l’on trouve dans la majorité des fourgons-pompes-tonnes et des échelles mécaniques, on s’aperçoit rapidement que cet item semble malheureusement loin d’être une priorité en France.

 

FDNY forcement tronçonneuse ouverture de porteInadapté au terrain

L’équipement de base en forcement d’un fourgon pompe est assez restreint. Ainsi il n’est pas rare de voir des binômes batailler pendant plus de dix minutes devant une porte d’appartement et s’épuiser avec une masse, en désespérant d’arriver à créer la brèche qui permettra de passer cet obstacle. Parfois, les pompiers ne peuvent pénétrer dans une enceinte industrielle pour entamer une première reconnaissance ou les premiers établissements, avant l’arrivée du VSR salvateur qui viendra couper ce qui entrave le passage, ou pratiquer une ouverture dans le rideau de fer d’un entrepôt. Ces situations quotidiennes n’ont toutefois plus leur raison d’être. S’il y a encore plusieurs années l’offre matérielle était plutôt réduite, aujourd’hui il existe tout un panel d’outils à disposition afin de pallier ce genre de situation. Ainsi il est dorénavant possible d’équiper les engins des départs normaux de moyens d’ouverture efficaces et peu onéreux eu égard aux services qu’ils rendent. Car si la problématique d’ouverture reste complexe, il faut surtout garder à l’esprit ce que peut engendrer un retard dans la progression. En effet lors de la première reconnaissance, le Cos doit rapidement lire son feu. Ce sera en fonction de la photo instantanée qu’il se fera du sinistre qu’il décidera des réactions immédiates à mettre en œuvre. S’il ne peut pénétrer dans le volume et attaquer le feu ou désenfumer/ventiler les volumes, l’incendie se développera et sans doute changera de volume ou de comportement, faute d’être attaqué rapidement. Le Cos sera alors amené à adapter ou à changer le dispositif initial, ce dernier n’ayant pu être efficace dans le délai prévu.

Un choix rationnel

Pour un corps de sapeurs-pompiers, trouver le bon outil relève parfois du véritable casse-tête. La démarche d’équipement se doit en effet d’être rationnelle, notamment dans le contexte de crise actuelle, qui oblige un grand nombre d’entre nous à se tourner vers des solutions plus économiques. Une maxime utilisée par nos collègues anglos-saxons résume parfaitement la réflexion à apporter à chaque action et les choix à mettre en œuvre. « Don’t be a fool, take a tool ! » (Ne sois pas idiot, prend un outil !). Ainsi à chaque action doit correspondre un instrument précis. Si les Américains disposent d’un choix rationnel destiné à répondre aux différentes contraintes rencontrées sur le terrain, en France, les engins-pompes sont équipés le plus généralement d’un outil de forcement appelé OFD de petite taille (outil de forcement et de déblai), d’une barre à mine ou grande pince, d’une hache, un coupe-boulon et d’une masse. Or sur intervention, nombreux sont ceux qui se heurtent régulièrement à des portes récalcitrantes, à des cadenas difficiles à couper ou à des toitures que l’on n’arrive pas à percer. Des dispositifs adaptés existent pourtant bel et bien sur le marché européen. Le choix de l’outil est important dans la démarche globale. En effet si la technicité est souvent louée par le vendeur, les objectifs d’utilisation doivent être clairement définis et les usagers formés à la mise en œuvre. Cette phase est très importante, l’aspect sécuritaire lors du forcement devant être largement pris en compte. En effet, si les utilisateurs ont conscience que l’utilisation d’une tronçonneuse à disque ou à chaîne reste dangereuse, ils oublient parfois qu’il en va de même des outils ne possédant pas de moteurs. Ainsi une masse mal orientée ou une hache tombant au mauvais endroit peuvent causer des dommages irréparables à celui qui en aura assuré l’arrêt… Les outils de forcement se classent suivant leur mode de fonctionnement : outils à main, outils hydrauliques, pneumatiques et enfin thermiques. Il faut veiller, lors du choix, à proposer le panel le plus large possible d’actions, avec un minimum d’outils, afin de répondre au maximum de situations sans pour autant alourdir les porteurs. Le premier matériel indispensable est un outil à main, l’Halligan Tool. Inventé par un pompier de New-York, Hugh Halligan, il est constitué de façon monobloc en acier trempé et permet plus de 25 actions de base différentes. Pour plus d’efficacité, il est à combiner avec une hache tête plate, qui servira également de masse pour enfoncer la barre dans l’élément à ouvrir. Il est doté, à chaque extrémité, d’un duo d’outils. Le premier se présente sous l’aspect d’une lame biseautée qui pourra être introduite dans une ouverture afin d’y faire levier. À angle droit, on trouve un pointeau qui servira à la fois de levier pour la première semelle, mais permettra également de chasser des barillets de portes, arracher des cadenas, briser des vitrages ou encore soulever des plaques d’égouts en toute sécurité. Ces deux éléments verront leur utilisation renforcée par la présence de coins de frappe sur lequel on pourra porter des coups à l’aide de la hache à tête plate. À l’autre extrémité, une fourche incurvée permet de travailler les ouvrants, en venant se glisser entre les montants et la porte, mais aussi arracher des paumelles ou encore des cadenas. Avec le temps, les utilisateurs ont fait de l’Halligan Tool un outil extrêmement polyvalent, très précieux sur les reconnaissances en milieu enfumé. De plus, il permet d’éliminer les grandes pinces, qui deviennent de ce fait inutiles. Un véritable gain en termes de coût. Toutefois, en dépit de ses capacités, il pourra se trouver en défaut devant des portes trop renforcées. Face à cette situation, un outil plutôt méconnu possède une excellente disposition à l’effraction sans pour autant être trop volumineux et coûteux : l’ouvre-porte hydraulique.

 

hache halligan barre forcement ouverture porteIndispensable formation

Former au forcement et à la création d’ouvrants est relativement complexe. En effet, contrairement à une idée reçue, forcer une porte ou découper un morceau de toiture nécessite de solides connaissances techniques, et se fait dans des conditions environnementales rarement optimum. Avant d’agir, le sapeur-pompier se doit de connaître la structure et les caractéristiques de l’ouvrant auquel il souhaite s’attaquer. Une première solution facilement envisageable consiste tout simplement à se rendre chez les fabricants d’huisseries qui disposent de showrooms où leurs meilleurs produits sont exposés, souvent sous la forme de coupe. Cette démarche permet de comprendre le montage et la complexité des différents types d’ouvrants et de récupérer de la documentation pour la formation. De prime abord, ces fournisseurs ne voient pas toujours d’un très bon œil notre intrusion dans ce monde de la sécurité, et nous pouvons aisément les comprendre. Mais après plusieurs échanges, l’accueil devient souvent convivial et permet d’acquérir de réelles connaissances techniques auprès des spécialistes du domaine. Les salons professionnels sont aussi d’excellentes sources d’informations pour s’adapter aux évolutions du marché et disposer d’un large panel de produits. Dans le cadre de la manœuvre de la garde, il est toujours intéressant également de se rendre dans des résidences pavillonnaires ou des immeubles en construction, pour mieux appréhender la constitution d’une charpente et les différents types d’assemblage qui existent. Ces visites permettent de réfléchir à l’outil et à la méthode les plus adéquats pour créer des exutoires en toute sécurité. Il devient alors possible pour les utilisateurs de reconnaître rapidement les types de portes et les méthodes à mettre en œuvre. On apprend à « lire » une porte en fonction de son implantation ou encore en reconnaissant le type de serrure qui l’équipe. Certains corps de sapeurs-pompiers sont même allés plus loin dans la démarche en créant des toitures d’entraînement ou encore en signant des partenariats avec des compagnons du bâtiment afin de disposer de structures de formation idoines, et de pratiquer des exutoires en conditions réelles. En Suède, on trouve même des cellules sur porteur, permettant de travailler sur le forcement de différents types d’ouvrants, portes pavillonnaires, rideaux de fer. Auparavant, cette démarche ne semblait pas essentielle. En effet, pendant longtemps les sapeurs-pompiers étaient largement issus des métiers manuels. Les agents possédaient donc de solides connaissances dans le domaine bâtimentaire. Aujourd’hui, les cursus scolaires ont généré une nouvelle population professionnelle, moins au fait de ces techniques. Il est pourtant important de pérenniser ces connaissances afin de garder une technicité de terrain. Si l’efficacité de l’effraction ne se fait pas ressentir, l’idéal est peut être de changer de technique ou encore d’outil. L’entraînement doit donc pouvoir se faire régulièrement afin de maîtriser toutes les techniques utilisables. Ce choix réduit d’outils amène également les utilisateurs à les mettre souvent en œuvre, donc à mieux les maîtriser et donc à rester en sécurité. Lors de ce type d’opérations, physiquement contraignantes, il conviendra de veiller à l’état de fatigue des utilisateurs et ne pas hésiter à les remplacer ou les mettre au repos afin de les faire récupérer plus rapidement. En cas de difficultés, il sera prioritaire de les rapporter rapidement au Cos afin qu’il puisse anticiper et adapter ses réactions vis-à-vis de l’intervention. Ces informations, associées à une bonne lecture du feu, permettront d’adapter en temps réel l’organisation de l’intervention. En bref, des solutions rationnelles existent ; elles doivent donc être mises en œuvre afin de rendre les interventions de forcement moins hasardeuses et plus rapides, en tenant compte du fait que la lecture du feu est une priorité avant toute tentative d’ouverture et ce pour limiter les risques pour les binômes qui s’engageront.